Live Report, DETROIT, Paris - Zénith, 3 décembre 2014 (Première Partie : Souleymane Diamanka) : 2 po
- Cor Aly
- 26 mars 2015
- 21 min de lecture

Les 5 membres de Détroit en totale communion au moment du final de Tostaky
3 décembre 2014. Nous y sommes. Ce soir se tiendra le concert de Détroit au Zénith de Paris. Dès le réveil, c'est l'inquiétude. Nous avons quitté, la veille au soir, à la Maroquinerie, le groupe avec son chanteur presque sans voix. Une question se pose: Bertrand aura-t-il eu le temps de récupérer en à peine 24h? Telle est la question. Premier réflexe : consulter la page Facebook officielle du groupe pour voir si une annulation n'est pas annoncée. Aucun message. J'ai envie de dire "ouf!!"
Dès le milieu de l'après-midi, je rejoins le Zénith accompagnée de quelques amies. L'hiver est là et pour la première fois, l'attente va être rendue difficile par le froid. Nous nous consolons en nous disant que globalement, jusqu'ici, nous avons eu la météo avec nous sur cette tournée de Détroit. Et puis heureusement, les agents de sécurité nous font entrer assez tôt dans l'enceinte de la salle.
Ce soir, ce sera Souleymane Diamanka en première partie. Les inconditionnels connaissent un petit peu l'artiste depuis son duo avec Bertrand Cantat sur un titre intitulé "Danser sous la tempête" sorti en 2011. C'est un remarquable parolier que j'ai déjà pu voir en live lors de la première partie du concert de Détroit, à Cenon, près de Bordeaux, le 2 octobre dernier.
Première surprise, lors de mon arrivée devant la scène, je constate qu'il ne sera plus accompagné d'un mais de trois musiciens! Mon impatience grandit. J'ai hâte de les écouter.
20h. Il est l'heure pour Thionny Mounlasena, Gaëtan Allard et Alexandre Verbièse, respectivement, bassiste, batteur et guitariste / programmateur de Souleymane de faire leur entrée sur scène et de commencer à jouer les premières notes du "Vœu Exaucé de Dieneba". Quant à Souleymane, il commencera son récit des coulisses avant de faire son entrée. Dès ce premier titre, je me rends compte, ô combien, la présence de deux musiciens supplémentaires sublime les textes de l'artiste. Avant d'entonner le deuxième titre, ses premiers mots seront adressés au public et à son ami Bertrand : "Merci beaucoup, merci pour l'accueil et merci à Bertrand car c'est grâce à lui qu'on est là ce soir, un maximum de bruit pour lui s'il vous plaît et pour toute la dream team de Détroit. Merci beaucoup et merci à vous. On est venu partager avec vous un moment d'humanité." Cette dernière phrase annonce le titre suivant qui porte le même nom. Il n'aura pas fallu plus de temps à la formation pour emballer les spectateurs qui frappent déjà des mains en rythme et reprennent en chœur le refrain. A l'issue de cette chanson, bien conscient de la chance qui lui est donné ce soir d'être sur la scène du Zénith parisien, Souleymane remercie de nouveau le groupe Détroit. Vient alors le moment d'introduire "Sénégal Soul", titre lui permettant de rendre hommage à son père en utilisant une de ses cassettes enregistrées dans les années 80. Ici, c'est un live de James Brown sur l'île de Gorée. L'artiste n'oubliera pas de présenter les musiciens qui l'accompagnent. Suivront les titres "Mademoiselle à vol d'oiseau" dédicacé à toutes les demoiselles présentes ce soir, "Réponds-lui avec de l'eau" magnifiquement accompagné par le guitariste sur un son pesant et prenant, "La Révolte des Poètes" sur un accompagnement très rock dont les premiers vers donnent le ton ("Préviens la République et son Président, la révolte des poètes sera sans précédent!"). L'artiste nous fera ensuite une démonstration de "rap haut débit" qu'il pratiquait par le passé. Puis, l'heure est alors venue de faire participer le public sur "Le Rêve Errant du Révérend" et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'en donne à cœur joie! Derniers remerciements adressés aux spectateurs avant d'entamer l'ultime chanson du set. Il s'agit du titre "Carminafro Burana" magnifiquement mis en musique, sur lequel on retrouve un sample de "O Fortuna" tiré de la cantate "Carmina Burana" de Carl Orff, mon coup de cœur!
Les 4 protagonistes se rejoignent au centre de la scène pour saluer le public et avant de partir, Souleymane Diamanka offrira un dernier titre a capella : "Les Héritiers de l'Arc-en-Ciel". Fin de la première partie et pari réussi pour Souleymane et ses acolytes qui sont parvenus, en 40 minutes, à conquérir un public résolument rock en proposant ce que l'on peut appeler du slam mêlant langue de Molière et langue peule sur une musique alliant chants traditionnels africains et soul avec une petite dose de sons rock.
Si vous ne connaissez pas encore Souleymane Diamanka, je vous invite à le découvrir au travers de cette captation de son concert à la Halle Tony Garnier de Lyon.
Souleymane Diamanka à la Halle Tony Garnier de Lyon - 11 décembre 2014 © Souleymane Diamanka Officiel / Un poil court
Son premier album studio, "L'Hiver Peul", est toujours disponible, ainsi que le live du 11 décembre 2014 à Lyon, sur toutes les plateformes de téléchargement légal.
Pour ma part, je le retrouverai avec plaisir au Mans et à Nantes les 12 et 13 décembre prochains.
Les lumières se rallument. C'est la pause et nous en profitons pour discuter entre nous. Partout autour de moi, les gens sont unanimes : ils ont découvert un véritable artiste ce soir et sont ravis de cette première partie.
Place à Détroit maintenant. Le stress monte. Bertrand va-t-il pouvoir tenir tout le concert? Va-t-il pouvoir monter dans les aigus? Entrée sur scène du groupe et avant même d'entendre les premières notes, nous sommes rassurés par l'état de santé de Bertrand arrivant de manière énergique et qui est d'humeur taquine: "Salut à vous parisiens et parisiennes!! Parigots, têtes de veau, parisiens, têtes de chien! Ça nous empêche pas d'vous aimer." Comme depuis le début de la tournée, c'est "Ma Muse" qui résonne dans le Zénith. Le problème de voix du chanteur est quasiment imperceptible. C'est le jour et la nuit avec son état de santé de la veille et c'est tant mieux! Il faut vraiment être au courant du souci pour noter de petites imperfections.
Place à "Horizon". Le groupe envoie du lourd sur la partie très rock de ce titre. Nous retenons notre souffle tout le long du morceau et plus particulièrement à la fin du titre qui monte dans les aigus. Le chanteur ne se ménage pas et envoie tout ce qu'il peut. Il atteint ses limites, parfois, ce qui semble l'agacer mais globalement les notes passent bien.
Vient "Ernestine", chanson vraiment pas facile vocalement. Nous aurions peut-être pensé que la setlist aurait été légèrement modifiée afin de ne pas trop fatiguer les cordes vocales de Bertrand. Nous comprenons que non. Pourtant, le concert de Plougastel se tiendra dans 2 jours. Même si l'on connaît son goût pour la perfection et sa volonté d'offrir un concert sans s'économiser, est-ce bien raisonnable? L'avenir nous donnera une réponse. La salle est plongée dans une magnifique lumière bleutée. Sa voix est comme suspendue à un fil qui menace à tout moment de se rompre mais ça passe.
Le groupe enchaîne avec "A Ton Etoile", chanson qui fait également partie de la setlist depuis le mois d'avril et qui fonctionne toujours aussi bien avec les spectateurs qui prennent beaucoup de plaisir à compléter cette phrase : "si tu cherches un abri, INACCESSIBLE!", et Bertrand ne masque pas sa joie d'entendre cela. Complicité sur la scène. Les 5 musiciens se sourient et ça fait plaisir à voir.

Bruno Green assurant les choeurs sur "A Ton Etoile"
Place aux premiers gros riffs de guitare sur "Le Creux de ta Main". Bruno Green quitte ses claviers pour sa guitare. Ce dernier en profite pour rejoindre Niko, Pascal et Bertrand vers le centre de la scène. Le son est fluide, le set est bien rodé depuis tous ces mois passés sur la route. Sans pause, ils enchaînent sur "Lazy", l'occasion de stimuler un peu plus le public déjà bien chaud. Bertrand a la voix éraillée par moment, mais contre toute attente, cela apporte un plus au morceau. Comme dans un rituel, Niko invite le public à frapper des mains en rythme tandis que Bertrand nous sollicite pour reprendre le refrain.
C'est, à présent, l'heure de la reprise des Stooges, "Gimme Danger", et nous ne cachons pas notre plaisir! Bertrand l'introduit avec un brin d'humour: "cette petite chanson a le mérite de venir de la même ville que nous … virtuellement … Détroit, c'est notre pays virtuel et Detroit (prononcé à l'américaine), c'est le pays non virtuel de Monsieur Iggy Pop avec les Stooges pour Gimme Danger". Fantastique version. Bertrand s'autorise quelques pitreries, se retrouvant, à plusieurs reprises, à deux doigts de tomber. Tout le groupe y met toute son énergie. Pascal se rapproche au plus près du public comme pour communier au mieux avec celui-ci. On se demande encore comment ce titre a pu passer vocalement! Cela doit faire partie des secrets des grands artistes. Le public est maintenant en feu et après avoir entendu ça, on ne se fait plus de souci pour le chanteur!

Bertrand Cantat pendant la reprise des Stooges
Mais maintenant, nous allons être aspirés par "Le Fleuve", titre datant d'il y a 25 ans mais qui n'a pas pris une ride. Nombreux sont ceux qui souhaitent que celui-ci ne quitte pas la setlist et c'est mon cas. Nous espérons pouvoir en profiter jusqu'à l'ultime date du 13 décembre à Nantes. Un régal pour les oreilles mais aussi pour les yeux. Guillaume, le batteur, qui a un rôle primordial sur ce titre, marque en effet le tempo avec lourdeur. Pascal, sublime magnifiquement la version originale grâce à sa contrebasse et nous ne nous lassons pas d'écouter le son de l'harmonica de Bertrand. Que dire de son incroyable jeu de scène? Chaque mot est vécu au plus profond de l'âme. Ce soir, il a choisi d'introduire le titre, comme cela lui arrive parfois. Honneur à Guillaume Apollinaire avec "Le Pont Mirabeau" : "Sous le pont Mirabeau coule la Seine et nos amours … Est-ce que les eaux que j’ai vues à cette heure-là repassent, au moins une fois ? Une fois ? Les flots, flots ne stoppent jamais. Et nos cités sans fleuves sont comme des … yeux sans … lumière … bleue. Rien je te dis, rien ne respire par-là sauf … sauf les flots de ce fleuve-là. Rien, rien mais nous, mais nous, mais nous … emporte moi, emporte moi … courant … courant des amours, Ohhhh! Ohhhh!! Ici, là-bas, même … combat." Bertrand poursuit avec les paroles habituelles. Le public est comme figé cette fois, totalement subjugué par son interprétation. Encore une fois, je me dis: "les mots, la musique, la scène, c'est sa vie!" Il ne se soucie plus du tout de sa voix, il vit l'instant présent, il force dessus, elle est éraillée mais qu'importe? C'est comme s'il se disait : "on verra bien demain ce que ça donnera, tant pis!" Puis retentissent les ultimes notes du titre qui restent suspendues à l'archer du talentueux Pascal Humbert.
Petit geste d'attention et un merci de Bertrand glissé à la technicienne, Lisa, qui vient lui remettre son micro en place. S'en suit un bref échange avec le public qui ne cesse d'applaudir la prestation du groupe : "Merci beaucoup! Tout le monde va bien?" Réponse unanime et positive du public qui, visiblement, passe une excellente soirée dans ce Zénith plein à craquer. "Quel plaisir, franchement!" Même joie ressentie sur scène. Les sourires des 5 membres de Détroit en disent long. Les spectateurs continuent d'applaudir et tapent des pieds pendant que Bertrand, Pascal, Bruno, Niko et Guillaume prennent quelques secondes de pause. L'ovation ne s'arrête plus, le bonheur ainsi que l'émotion se lisent sur le visage du leader qui salue la foule et désigne ses camarades de scène. Oui, ce concert et même ces concerts exceptionnels, nous les devons à Détroit au grand complet et j'ajouterai même, à Détroit et à toute l'équipe technique qui travaille dans l'ombre. L'occasion de souligner le travail indispensable des intermittents du spectacle. Sans eux, rien ne serait possible! Devant tant d'enthousiasme, Bertrand reprend la parole: "Nous vous devons tout et à aucun moment on n'l'oublie! On vous doit tout. Merci." Oui, sans public, pas de vente d'album, pas de concerts, c'est vrai. Si le groupe a énormément de reconnaissance envers les personnes, qui, partout en France, remplissent les salles, nous aussi, nous en avons. Nous avons l'impression de vivre un rêve éveillé depuis novembre 2013 et la sortie de l'album studio "Horizons". Et puis, se retrouver dans toutes ces salles de spectacles, ressentir cette chaleur humaine, vivre ces échanges entre artistes et public, on y croit à peine. C'est pourtant la réalité. Pour ma part, j'ai surtout envie de remercier Pascal Humbert, ami de longue date de Bertrand, qui a monté ce nouveau projet, Détroit, avec celui-ci. D'après ses dires, cela n'a pas toujours été facile. Qu'importe. Il a été un soutien sans faille pour Bertrand. Quel homme courageux! Il était évident que ça n'allait pas être un projet évident, que des personnes de la profession allaient leur mettre des bâtons dans les roues et que la presse n'allait pas les aider à faire connaître le groupe. Oui mais voilà, nombreux sont ceux qui n'ont jamais laissé tomber Bertrand. Je me demande comment on peut boycotter un artiste si talentueux. Comme disait Albert Einstein : "deux choses sont infinies : l'Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l'Univers, je n'en ai pas encore acquis la certitude absolue." En voici une parfaite illustration. Merci aussi à Bruno Green, pièce maîtresse du groupe qui a joué un rôle important dès l'enregistrement de l'album, sans oublier, bien entendu, Guillaume Perron et Niko Boyer, qui ont rejoint le groupe pour les répétitions pré-tournée. Aujourd'hui, il m'est impossible de voir le groupe autrement que constitué de ces 5 membres. J'espère vraiment qu'ils seront de nouveaux réunis lors de la prochaine tournée. Mais, nous n'y sommes pas encore! Revenons plutôt à notre concert du jour.
Après les remerciements, Bertrand enchaîne avec "Lolita Nie En Bloc" qui va débuter, ce soir, d'une façon inattendue mais qui n'est pas pour me déplaire. Il entonne le premier couplet sur une mélodie tout à fait différente de l'originale mais que je préfère! Et oui, j'ai toujours apprécié le texte de cette chanson mais pas la mélodie. Affaire de goût! Le chanteur reprend ensuite le titre au début de celui-ci sur la mélodie habituelle. Il sera, en effet, plus aisé pour Pascal, Bruno, Niko et Guillaume de raccrocher les wagons! Un peu de sérieux!!
"Lolita Nie En Bloc" © TheShadowfax68
Dans un silence absolu, le groupe joue "Ange de Désolation" et l'on assiste à une interprétation très imagée de Bertrand. Cet instant est toujours un moment hors du temps lors de chaque concert et le public, bien que capable d'être totalement survolté sur certaines chansons, sait aussi se taire et écouter quand il le faut. C'est appréciable et surtout respectueux. Bertrand en a d'ailleurs bien conscience et après un échange de poignées de mains avec Pascal, il nous livre ces quelques mots d'une voix frétillante d'émotion : "Merci infiniment … merci pour votre très très belle écoute! Merci … Vous avez été tous sublimes. Merci." Dernière chanson avant de quitter la scène pour la première fois de la soirée : "Null And Void". Difficile techniquement, celle-ci poussera Bertrand dans ses derniers retranchements. Mais, la fragilité est belle également. C'est l'heure pour les 5 artistes, tout sourire, de quitter quelques instants la scène sans oublier d'adresser un "merci" avant de partir.
Premier rappel. Bertrand et Pascal remontent sur scène pour interpréter "Droit dans le Soleil", guitare électro-acoustique en mains pour Bertrand, contrebasse électrique pour Pascal. Les deux musiciens sont prêts … C'était sans compter sur le cri féminin strident en provenance du public qui va retarder le commencement de la chanson. Un besoin d'évacuer le trop-plein d'émotions ou une volonté de se faire remarquer? Un concert sans ses éléments perturbateurs ne serait pas un concert. Bertrand fera mine de s'en intéresser en déclarant : "la note là, la note là! C'est qui, qui faisait cette note?" avant d'enchaîner très rapidement avec les premiers accords de guitare de la chanson. Je suis toujours autant fascinée par le jeu envoûtant de Pascal à la contrebasse. Les cordes font raisonner les mots et les maux de ce fabuleux texte dans cette immense salle qu'est le Zénith mais aussi au plus profond de notre être. C'en est presque une (mauvaise) habitude, les premiers mots de la dernière strophe ne viennent pas. Bertrand, hésitant, commence par "Sentinelle … " avant de se reprendre : "Assiégé par le chant des sirènes …" pendant que Pascal tend une oreille très attentive pour rattraper les choses afin que les notes collent parfaitement au texte. La classe du grand musicien. De toute évidence, et on le comprend, ce texte doit réveiller des blessures du passé et il y a des blessures qui ne cicatrisent jamais. Accolade chaleureuse entre les deux artistes pendant que Bruno, Guillaume et Niko font leur retour. Ovation du public. Là aussi, cela devient une habitude après "Droit dans le Soleil"! Peu importe, cela n'empêche pas que cela soit sincère et c'est une dose d'émotion supplémentaire que nous prenons et qu'ils prennent de plein fouet.

Bertrand Cantat et Pascal Humbert interprétant "Droit dans le Soleil" / © Nicko Guihal
L'honneur revient à Niko Boyer de débuter "Glimmer In Your Eyes" sous un magnifique jeu de lumières à dominance bleutée. La voix de Bertrand, fragile ce soir, rend la version unique. Peut-être que le texte de cette chanson, en anglais, n'a pas attiré l'attention de tous mais il est d'une beauté remarquable et si vous ne vous êtes pas encore penchés dessus, je vous invite à le faire de toute urgence.
Changement d'atmosphère avec "Sa Majesté"! L'occasion de glisser sur un terrain politique sur un ton un peu moqueur. Les lumières rouges font leur apparition. Et c'est parti pour une mémorable et longue version de 15 minutes!! J'attendais ce moment avec impatience. Nous sommes à Paris et qui dit Paris dit présence de nombreux journalistes. Bertrand va-t-il en profiter pour faire passer un message? La réponse est oui. Mais avant toute chose, il reste fidèle à lui-même et à ses convictions. Avant d'assister à un discours revendicatif, nous profitons du premier couplet et de la complicité affichée entre le chanteur et Niko. Leur plaisir à jouer crève les yeux.
Puis Bertrand interpelle le public : "Etes-vous au courant ? On va nous la refaire … On va essayer de nous passionner pendant deux ans … Pour des histoires … de personnes … qui absolument, immédiatement après qu’elles soient élues, oublient l’intégralité de ce qu’elles ont promis!" Vive réaction parmi les spectateurs. Effectivement, je suis, pour ma part, entièrement d'accord avec ce qui vient d'être dit. "Ce rêve … encore y croire. La Boétie, La Boétie, où es-tu mon petit La Boétie? Ils ne sont grands que parce que nous sommes … petits … et si nous sommes petits c’est que nous sommes à genoux … Ne me dites pas qu’ils vont réussir à nous passionner pendant deux ans? Sur … rien! Oh Sa Majesté domine bien son sujet. Sa Majesté trouve toujours quelqu’un pour le relayer dans nos chers médias si merveilleux … qui disent, non ça nous intéresse plus mais qui … relaient quand-même … le rien, le vide absolu. Oh je sais pas, moi, je sais pas. Personne ne sait mais, eux non plus! C'qui est sûr c’est qu'c’est une mascarade et qu’il n’y a absolument aucun intérêt à suivre Sa Majesté … Fût un temps où les têtes étaient coupées … mais maintenant on est gentil." Puis suite de la chanson : "Oh!, vous êtes en âge de savoir, vous êtes en âge de comprendre, vous êtes en âge de subir, alors … Oh!! D’ailleurs vous êtes en nage …"
Bertrand poursuit dans un incroyable jeu de scène pendant que Niko, Bruno, Pascal et Guillaume s'adaptent à merveille à cette version inédite. Mais nous sentons bien qu'il ne souhaite pas en rester là avec ses revendications. Et quand on connaît un peu le personnage, on est à peine étonné!
"Je sens que souffle la révolte. Je le sens d’autant plus que les patrons sont dans la rue alors vous savez! Alors là! … Les patrons sont dans la rue!!!! Vive l’extrême gauche! Plus! Non … moins! Bon, mais c’est parce qu’ils sont petits les patrons qu’ils sont gentils. Mais les grands patrons, eux, sont pas dans la rue. Non, non, non, non, non, non, non, non, non, non, yeah, yeah, yeah, yeah, yeah, yeahhh!!" chante-t-il. "On est sauvé, la révolte est parmi nous, les patrons sont dans la rue!! … Quand il va y avoir un Rémi Fraisse dans les rangs du patronat ça va faire mal hein?! Imaginez … Oh! Une grenade explosive dans le col d’un banquier … Oh!!! Elle a pas fait exprès!! … Poutine, lui, il s'fait pas chier, il met un camion au bout des aéroports … pour le patron de Total (Christophe de Margerie, PDG de Total, est décédé le lundi 20 octobre 2014 après que son avion ait percuté un chasse-neige quelques secondes après le décolage). Non, non, je, je, j'm'avance là, j'm'avance … mais à l'arrivée, il n'va pas nous faire chier l’autre, tout ça … en plus lui qui ferme sa gueule …. et ben non, non … On est sauvé! Les patrons sont dans la rue!!! … Excusez-moi. Et pendant tout c'temps-là, pendant qu’on dit des bêtises au Zénith de Paris … Sa Majesté n’est jamais inquiétée, à peine dérangée, parfois sur son oreiller, Sa Majesté domine bien son sujet … son verbe et son complément, elle domine tout … Elle n'risque pas d’être dérangée … Puisqu’on s’occupe d’autre chose … Deux ans à entendre leurs conneries!! En faisant ses toasts aux petits déjeuners, sur France Inter ou autre, d’ailleurs, parce ils sont gentils eux, ils sont … ils sont gentils pourtant … Des toasts … faites des toasts!" dit-il en mimant le geste. "Et le soir, allez danser … comme disait Stromaé … mon ami Belge".
Nous nous attendions à entendre une version inédite de "Sa Majesté" parsemée de messages à l'attention du public mais sûrement pas à un monologue aussi long avec des prises de position aussi tranchées! Mais n'a-t-il pas été trop loin? Parmi les spectateurs, ceux du premier rang ont été conquis mais globalement, dans le Zénith, les réactions sont mitigées. Mettre ouvertement en cause Poutine dans l'accident du patron de Total n'était-ce pas déplacé? J'ai d'ailleurs senti une petite gêne de Bertrand après avoir déclaré ceci. Globalement, j'étais d'accord avec ses déclarations, avec le fond de ses propos mais la forme était discutable et je comprends que certains se soient sentis mal à l'aise. A ce moment-même, je me demande quelles vont être les retombées le lendemain dans la presse.
"Sa Majesté" © Vaucresson Solidarité
A peine remis de nos émotions, nous poursuivons avec un nouveau titre engagé : "Un Jour en France". Et dès les premières notes, décidément très bavard ce soir, Bertrand s'adresse à la foule : "Un jour viendra dans notre beau pays … Oh non, oh non!" Puis il nous parle soudain de tout à fait autre chose : l'annexion du Luxembourg pour régler les dettes de la France! Déjà, au début de la tournée, lors du concert à la Rockhal (au Luxembourg), il en avait parlé sur les terres du pays concerné et ce, en présence de Lisa Berg, violoncelliste luxembourgeoise qui a participé à l'album "Horizons" et qui a fait quelques dates avec le groupe. "L’annexion du Luxembourg c’est possible? Rien qu’avec l’annexion du Luxembourg on annule toutes les dettes, c’est cool! Bon, ça s’fait pas. Il paraît qu'ça s’fait pas. Y'a tellement d’autres choses qui s'font … c’est pas sérieux comme proposition … en attendant … ah non, ça c’est l’autre". Niko chauffe la salle. Place au morceau. Le public reprend les paroles à tue-tête. Un vrai régal!
Sans aucune pause, le groupe enchaîne avec "Fin de Siècle". La température monte dans le Zénith. Un bon échauffement avant le très attendu "Tostaky"! A noter la belle complicité affichée entre Bertrand, Niko et Pascal. De beaux échanges de sourires, ça transpire la joie de vivre et le partage.
C'est parti! Niko envoie le fameux riff de guitare de "Tostaky"!! C'est une déferlante de pure folie qui s'abat sur la foule. LE moment où plus personne ne se contrôle vraiment mais que c'est bon! L'occasion de magnifiques échanges sur scène mais pas seulement. Nous assistons à une véritable symbiose entre le groupe et le public. Les spectateurs hurlent le cultissime slogan "Soyons désinvoltes, n'ayons l'air de rien" à s'en exploser les cordes vocales! Tiens, en parlant de cordes vocales, Bertrand a l'air totalement guéri … Soigner le mal par le mal, c'est peut-être parfois la solution! Après 9 minutes 30 de total déchaînement, le titre touche à sa fin … enfin, c'est ce que nous croyons. Le rythme est devenu lent mais les musiciens continuent de jouer puis brusquement, Niko balance de nouveau de gros pains de guitare électrique!! C'est à peine croyable! Nous avons finalement droit à 2 minutes supplémentaires d'instrumental avant que le groupe ne quitte la scène. Pause bien méritée. Pour Bertrand, Pascal, Niko, Guillaume et Bruno mais aussi pour le public. Peut-être pour les techniciens aussi qui assurent avec brio depuis le début du concert au son, aux lumières et j'en passe. Je crois qu'à cet instant, tout le monde a besoin de reprendre son souffle. Nous nous sommes tous lâchés et qu'est-ce que ça fait du bien!!! Un bon moment rock comme nous n'en vivons sûrement pas assez.
Après quelques minutes passées en coulisses, retour des membres de Détroit sur scène mais pas que! Souleymane Diamanka est invité à prendre de nouveau la parole, geste qui témoigne de la grande générosité du groupe. Peu nombreux sont les artistes à interrompre leur concert pour mettre en avant leur première partie. Ceci est suffisamment rare pour le souligner. Cet instant est devenu comme un rituel entre Détroit et Souleymane. Comme sur les précédentes dates où il était présent, Souleymane va interpréter "Les Poètes se cachent pour écrire", titre présent sur son premier album mais revisité pour l'occasion. Il s'adresse à Bertrand et à vrai dire, à chaque concert, Souleymane prend soin d'y apporter quelques petites nuances. En voici un extrait :
"Les poètes se cachent écrire,
C'est pas une légende, Bertrand,
Regarde-nous.
Toi et moi c'est l'écriture qui nous lie,
C'est dans la solitude qu'on apprend la convivialité
Et tant pis pour celui qui le nie,
Et si toi aussi ton arbre généalogique est un eucalyptus arc-en-ciel,
Si toi aussi tu connais la magie du mélange des matières que seul l'art t'enseigne,
Si toi aussi tu as déjà entendu parler de la légende du déluge et de la grande arche ancienne,
Alors tu sais que l'humanité ne compte qu'un seul peuple vu de tout là-haut,
Un seul peuple avec plusieurs langues, plusieurs cultures et plusieurs couleurs de peau."

Les musiciens de Détroit à l'écoute de Souleymane Diamanka lors de son poème "Les Poètes se cachent pour écrire"
Magnifique message de Souleymane Diamanka. Si seulement tout le monde pouvait penser qu'un seul peuple représente l'humanité, alors cela nous éviterait bien des problèmes. Depuis des siècles, les différences entre les civilisations sont responsables du racisme et de nombreuses guerres. Voir les choses autrement nous apporterait tant de bonheur. Apprendre de la culture de l'autre c'est s'enrichir soi-même. Sauf qu'au 21ème siècle, c'est encore loin d'être la pensée de tout le monde … Merci poète de nous rappeler cela et j'espère, vraiment, que tu seras entendu par un maximum de monde.
Nous assistons à de grandes accolades entre Souleymane, Bertrand, Pascal, Bruno, Niko et Guillaume à l'issue de cette intervention. Accolades qui seront accompagnées par de nombreux applaudissements du public. Oui nous avons été, ce soir, les témoins privilégiés de ces moments de poésies et nous en avons conscience. Souleymane Diamanka est un ovni de la scène française, ovni que nous retrouverons avec plaisir plus tard, sur les dernières dates du Tour d'Horizon et sûrement sur sa future tournée.
Nous nous remettons de nos émotions. Les musiciens retrouvent leurs instruments pour nous livrer une version du "Vent Nous Portera" façon Détroit! Mais avant cela, Bertrand prend la parole, visiblement touché par Souleymane ainsi que par l'enthousiasme du public depuis le début du concert : "Il nous a beaucoup manqué lui aussi … c'est bien, c'est bien, c'est beau c'que vous nous dites là." Bertrand fait ici référence aux affiches tendues par les spectateurs des premiers rangs et sur lesquelles il est inscrit : "Merci Détroit pour ces horizons". Normalement, ces affiches auraient dû faire leur apparition après "Comme Elle Vient" mais il est toujours difficile de coordonner ce genre d'action. Peu importe, c'est l'intention qui compte. Puis il reprend : "Et merci, merci, merci, merci, merci infiniment d'être là jeunes gens." Début du morceau. Le public chante en chœur! C'est joli à entendre. Comme à son habitude, Bertrand taquine Bruno. Dans cette version assez longue ce soir, nous assistons même à une sorte de confrontation batterie / guitare entre Guillaume et Bertrand. Un régal! Quand vous rajoutez à cela, le son de la contrebasse de Pascal, je vous le dis, nous atteignons des sommets.

Bertrand Cantat et Guillaume Perron se défient par intruments interposés
"Toujours là?" demande Bertrand. "Ouais!!!!!!" répond le public avec vigueur. "Ah vous êtes trop bons, vous êtes trop bons, vous êtes trop bons!" s'exclame le chanteur avant d'entamer "Comme Elle Vient". Le public répond présent, chante du début à la fin. C'est un vrai plaisir pour le groupe d'entendre les gens chanter le refrain inlassablement. Pour que nous y mettions toute notre énergie, Bertrand s'amuse à nous dire : "Aller! … Quoi? … Comment? … Quoi? … Aller! Aller! Aller! Aller! Aller! Alleeeerrrr!!!!" Un instant, il semble contempler les visages qui apparaissent sur les écrans. C'est vrai que voir tous ces sourires remplit le cœur d'un bonheur immense. Comme s'il voulait prolonger ce moment unique de partage, Bertrand reprend la chanson au 2ème couplet en s'accompagnant seul à la guitare électrique : "Tu la vois la belle bleue, des feux de l'artifice, …". Puis les 4 autres membres le rejoignent. Moment d'euphorie dans le Zénith!! Les dernières notes résonnent. Bertrand pose sa guitare et laisse éclater sa joie en shootant dans un gobelet en plastique. Lui-même ainsi que Pascal, Bruno, Niko et Guillaume viennent saluer la foule de part et d'autre de la scène sous l'œil contemplatif de Souleymane Diamanka posté sur le côté. Les échanges n'en finissent pas. Il faut dire que le concert a été grandiose ce soir et personne ne veut partir. Pour les remercier et tenter d'obtenir une ultime chanson, nous entonnons de nouveau le refrain de "Comme Elle Vient" a capella. Un Zénith plein à craquer qui chante, cela procure vraiment beaucoup d'émotions. Le groupe quitte la scène mais avant de partir, Bertrand adresse de nouveau des remerciements : "Merci à vous, merci infiniment d'être venu …, merci pour la chance qu'on a d'être avec vous, merci!" L'intégralité du discours n'est pas entièrement audible car, au début de la prise de parole de Bertrand, le micro n'était pas allumé. Qu'importe! Nous avons compris le message qu'il a voulu faire passer.
Je regarde ma montre. Il est 23h50! Quand même!! Je comprends, vu l'horaire tardif, qu'il était impossible pour le groupe de faire un dernier rappel. Le Zénith a des impératifs et ne décide pas de l'horaire de fermeture. Mais aucune déception. Le concert a été fabuleux. Je suis passée par de nombreuses émotions et j'ai vécu un moment de partage exceptionnel.
C'est ainsi que s'achève l'aventure parisienne de Détroit. 10 concerts dans la capitale en 6 mois, une performance qui aurait relevé de l'utopie à peine 1 an auparavant. Vraiment pas mal pour un groupe nouvellement formé!
Je retrouve mes camarades de concert et nous échangeons nos impressions. Nous sommes unanimes : nous avons encore vécu quelque chose de différent et de grandiose ce soir. Nous mesurons la chance que nous avons. Avant de quitter l'enceinte du Zénith, je salue Frédéric Lemaître, une de mes belles rencontres au cours de cette tournée. Malheureusement, nous ne nous reverrons pas de sitôt car Frédéric est dans l'impossibilité de se rendre au dernier concert de Nantes. J'espère que nous nous reverrons dans d'autres circonstances. C'est une belle personne qui me fascine notamment par son écriture et c'est grâce à lui que je me suis mise à écrire ces live reports. Aucun regret. Cela me permet de garder une trace de ces concerts exceptionnels de Détroit et de partager mon ressenti.
Pas facile de trouver le sommeil après une telle soirée. Je pense déjà à la dernière ligne droite, aux concerts des 12 et 13 décembre qui se profilent à l'horizon …
Etonnamment, le lendemain, la presse ne fait pas écho du discours de Bertrand sur "Sa Majesté". D'ailleurs, très peu d'articles traitent du concert, j'ai peine à en trouver. Cela sent le boycott mais restons positifs, au moins, la presse ne fait pas preuve, pour une fois, de mesquinerie!
Cor Aly

Commentaires